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Quand l’épaule se blesse... sans douleur : un piège courant

  • Photo du rédacteur: Denis Fortier
    Denis Fortier
  • 15 sept.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 oct.


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On associe spontanément blessure et douleur. Quand un examen d’imagerie montre une «anomalie», plusieurs se disent : «Ah, c’est ça qui explique mes douleurs!» L’équation paraît logique… mais elle est souvent trompeuse. Et c’est justement là que se cache le piège : croire que ce que l’on voit à l’imagerie explique forcément ce que l’on ressent.


La réalité est plus nuancée : on peut présenter une atteinte musculosquelettique — par exemple au tendon de la coiffe des rotateurs ou à la longue portion du biceps — sans ressentir la moindre douleur. À l’inverse, on peut souffrir beaucoup alors qu’aucune altération franche n’apparaisse aux examens.


Comprendre ce décalage entre blessure et douleur est essentiel afin d’éviter des traitements inutiles, parfois même inadaptés. Aujourd’hui, je prendrai principalement l’épaule comme exemple, mais cette logique vaut tout autant pour les autres régions du corps.



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Tendon pathologique… sans douleur


Le tendon est un exemple éclairant. On sait aujourd’hui qu’il peut présenter des signes de tendinopathie visibles à l’imagerie — comme une désorganisation des fibres de collagène ou un épaississement de la structure — tout en demeurant complètement indolore. Pourquoi? Parce qu’un processus dégénératif ne provoque pas forcément de réaction douloureuse, surtout à ses débuts. Les nerfs qui transmettent la douleur ne sont pas toujours activés, et certains tissus peuvent s’altérer sans déclencher de signal d’alarme.


C’est pourquoi certains joueurs de tennis présentent des tendons qualifiés de «pathologiques», sans jamais être gênés dans leur pratique. De la même façon, de nombreux adultes montrent à l’imagerie des changements dégénératifs typiques de l’usure des tendons, sans jamais ressentir de douleur.


À l’inverse, d’autres, quel que soit leur âge ou leur niveau d’activité, souffrent de douleurs importantes alors que leur tendon semble intact ou ne montre que très peu d’anomalies. Le tendon illustre ainsi à quel point le lien entre blessure et douleur est complexe, multifactoriel et parfois contre-intuitif.



L’inflammation : un signal secondaire


Pendant longtemps, l’inflammation a été considérée comme le moteur principal de la douleur tendineuse. On sait aujourd’hui que son rôle est beaucoup plus limité. Des cellules inflammatoires peuvent être présentes dans un tendon douloureux, mais cette inflammation est souvent de bas niveau, un peu comme un signal sentinelle.


Cela signifie qu’elle accompagne parfois le processus, sans en être le véritable moteur. Dans ces cas, traiter uniquement «l’inflammation» avec des médicaments ou des infiltrations risque d’avoir peu d’effet, car on agit sur une conséquence secondaire plutôt que sur la cause principale de la douleur.



Un processus dégénératif ne provoque pas forcément de réaction douloureuse, surtout à ses débuts.

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Le disque intervertébral


Un autre exemple bien connu est celui de la hernie discale. Les examens d’imagerie révèlent souvent des protrusions discales, c’est-à-dire un disque intervertébral qui déborde légèrement de son espace habituel, chez des personnes qui ne ressentent absolument aucune douleur. Cela peut s’expliquer par le fait que toutes les protrusions ne compriment pas de nerf et que, dans certains cas, le système nerveux ne les perçoit pas comme menaçantes.


En réalité, une proportion importante d’adultes présente une hernie ou une protrusion discale visible à l’IRM tout en demeurant complètement asymptomatique. Autrement dit, la simple observation d’une anomalie discale ne suffit pas à expliquer, à elle seule, des douleurs lombaires ou sciatiques.


Une proportion importante d’adultes présente une hernie ou une protrusion discale visible à l’IRM tout en demeurant complètement asymptomatique.

D’autres exemples courants


Le phénomène ne se limite pas aux tendons et aux disques intervertébraux. D’autres structures du corps illustrent aussi ce décalage :


  • Arthrose : de nombreuses personnes présentent des signes radiologiques d’arthrose (rétrécissement de l’interligne articulaire, ostéophytes) sans aucune douleur articulaire. À l’inverse, certaines souffrent beaucoup alors que les images ne montrent que peu d’anomalies. Le niveau d’arthrose n’est pas un élément prédictif de l’intensité de la douleur.


  • Dégénérescence de la coiffe des rotateurs : on retrouve fréquemment des déchirures partielles ou complètes de la coiffe chez des individus asymptomatiques, parfois jeunes et actifs.


  • Scoliose : certaines déformations vertébrales impressionnantes à la radiographie ne causent aucune douleur, alors que des scolioses beaucoup plus discrètes peuvent être douloureuses.


  • Changements dégénératifs des genoux ou des hanches : observés couramment à l’imagerie dès la quarantaine, ils ne s’accompagnent pas toujours de symptômes.


Ces exemples montrent qu’il n’existe pas de corrélation simple, linéaire et universelle entre la présence d’une anomalie et la perception de la douleur.



Pourquoi douleur et pathologie ne coïncident pas toujours?


La douleur est une expérience complexe : elle ne reflète pas toujours fidèlement l’état des tissus. Plusieurs mécanismes entrent en jeu :


  • Biologiques : certains tissus, comme les tendons ou les disques, sont peu vascularisés et peuvent s’altérer sans douleur apparente. À l’inverse, une petite anomalie dans une zone bien vascularisée — comme la peau, riche en nerfs et en vaisseaux sanguins — déclenche rapidement une douleur.


  • Neurologiques : la douleur est modulée par le système nerveux. Un tissu abîmé peut être «ignoré» s’il n’est pas jugé menaçant. Mais parfois, les nerfs périphériques deviennent hyperréactifs ou le système nerveux central amplifie le signal : c’est ce qu’on appelle la sensibilisation, qui peut rendre une zone douloureuse même sans lésion.


  • Psychologiques et sociaux : le stress, l’anxiété, la fatigue ou certaines croyances («j’ai mal, donc je suis blessé») peuvent amplifier la douleur. À l’inverse, un environnement rassurant ou le fait de rester actif tendent à l’atténuer. L'état psychologique, comme la dépression, sont également associés à certaines douleurs chroniques — par exemple, lombaires — où la douleur et l’état psychologique se renforcent mutuellement.



Certains tissus, comme les tendons ou les disques, sont peu vascularisés et peuvent s’altérer sans douleur apparente.


Une association parfois… perverse

Le réflexe d’associer automatiquement blessure et douleur peut avoir des effets pervers. Quand un examen révèle une «anomalie», il est tentant d’y voir l’explication directe de la douleur et de vouloir la corriger à tout prix.


Mais cette logique conduit parfois à :


  • Des traitements inadaptés : infiltrations, chirurgies ou immobilisations décidées uniquement sur la base d’une image, alors que la douleur provient peut-être d’un autre mécanisme.

  • Une anxiété accrue : apprendre qu’on a une «anomalie» ou une «lésion» peut générer une peur du mouvement, de l’insomnie, des changements d’habitudes, et renforcer la douleur par anticipation.

  • Une confusion : difficile de comprendre pourquoi la douleur persiste malgré des examens jugés rassurants ou des traitements ciblés sur l’image observée.


Repenser la relation douleur-pathologie


Reconnaître que douleur et anomalies visibles ne vont pas toujours de pair ne veut pas dire qu’il faut ignorer les résultats d’imagerie. Cela signifie plutôt :


  • Prendre les examens avec prudence : une anomalie détectée ne pose pas forcément problème.

  • Se voir dans sa globalité : tenir compte de son histoire, de ses activités, de son contexte de vie, de ses croyances et de ses attentes.

  • Adapter les traitements : viser à soulager la douleur et à améliorer la fonction plutôt que de «réparer» uniquement ce que montre une image.

  • Être rassuré et bien informé : comprendre que la présence d’une anomalie ne veut pas dire que la douleur sera permanente ni qu’elle condamne à la souffrance.



À garder en tête


La douleur n’est pas le simple reflet d’une lésion. Elle résulte d’un ensemble de mécanismes biologiques, neurologiques et psychosociaux. C’est pourquoi il est possible d’observer des anomalies sans qu’elles entraînent nécessairement de symptômes douloureux : un tendon pathologique peut rester silencieux, une hernie discale peut ne jamais se manifester, et une arthrose visible à la radiographie peut s’installer sans provoquer de gêne.


Croire que douleur et blessure vont toujours de pair est une simplification dangereuse : elle peut mener à des traitements inadaptés, à de l’inquiétude inutile et à une vision trop réductrice du corps humain. Mieux comprendre cette dissociation, c’est retrouver du pouvoir sur son corps et sur ses choix de traitement.


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Denis



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Références


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