Les performances olympiques vous ont certainement fait vivre plusieurs moments riches en émotion, qu’il s’agisse des médailles en natation de Penny Oleksiak ou de la performance historique d'Ellie Black en gymnastique artistique. Or, derrière ces exploits de haut niveau, il y a des dizaines de professionnels de la santé de la délégation canadienne qui travaillent d’arrache-pied afin de rendre les conditions les plus favorables.
Plusieurs physiothérapeutes font partie de cette grande équipe.
Voici les témoignages de cinq de mes collègues pour qui je n’ai que des éloges à formuler. Des pros, comme on dit, doublé d’une générosité exceptionnelle. J'ai eu très récemment l’occasion d’échanger avec eux en direct de Rio, et d’autres m’ont fait part de leurs riches expériences vécues à d’autres Jeux.
Je vous propose donc d’entrer dans les coulisses des Jeux olympiques en lisant des extraits de mes entretiens. Vous y trouverez des conseils judicieux et des anecdotes touchantes: de l’importance de la préparation avant une compétition en passant par le venin de serpent!
Bonne lecture,
Denis
Guylaine Boutin est physiothérapeute et propriétaire de la Clinique A+ Physio, en Estrie. Elle est également chargée de cours à forfait à l’Université de Sherbrooke et elle a aussi œuvré au sein des Spartiates du Cégep du Vieux-Montréal et des Grands Ballets canadiens. Son expérience olympique à Rio et Sotchi l’a amenée à traiter des athlètes en gymnastique artistique, tennis, triathlon, tennis de table et curling.
Guylaine, j’ai ouï-dire que tu es une fan des Bruins de Boston?
Ah, ah! Tu me fais rire. Je te raconte: aux Jeux de Sotchi, j’ai taquiné Tuukka Rask, le gardien des Bruins de Boston, ne sachant pas qui il était. Il m’a demandé ce que j’aimais de l’équipe des Bruins et je lui ai répondu que c’était l’équipe que j’aimais détester! Cela était avant que je sache qu’il était leur gardien de but… oups!!
Tu es à Rio en ce moment: tu as vécu de beaux moments?
Oh, oui, plusieurs. Par exemple, la générosité du gymnaste Scott Morgan m’a touchée, lui qui n’hésite jamais à partager sa passion et à enseigner quelques rudiments de la gymnastique à tous ceux et celles qui lui en font la demande. Et c’était beau de le voir s’amuser pendant sa performance! »
Quels conseils donnerais-tu aux parents d’un enfant qui souhaitent faire un sport d’élite?
Je crois qu’il faut qu'un enfant pratique d'abord plusieurs sports. Il ne doit pas se spécialiser trop tôt. Aussi, il est nécessaire d'inclure à son entraînement, entre autres, une période de récupération annuelle. Pendant cette période, il ne pratiquera pas son sport et pourra s’amuser sans avoir un horaire d’entraînement organisé à la minute près. Et dans les moments plus intenses, souvenez-vous que le sport devrait demeurer quelque chose d'agréable, être un jeu. Il n'est pas rare de voir de jeunes athlètes souffrir d'épuisement parce qu'ils s’entraînent trop. Et parfois, ils perdent même complètement la motivation et l'intérêt dans le sport d’élite.
Jean François Mathieu est physiothérapeute et propriétaire de la clinique Action sport physio de Repentigny. Il a travaillé pendant plusieurs années comme physiothérapeute sénior au Cirque du Soleil. Il enseigne aussi à l'École nationale de cirque et il travaille avec plusieurs clubs de gymnastique situés dans la grande région de Montréal. Aux Jeux olympiques de Rio, il est responsable des athlètes en gymnastique artistique.
Jean-François, c’est vrai que tu as pratiqué un sport d’élite?
« Oui. Plus jeune, j'étais un athlète d’aviron. J'ai été champion canadien en 1993. Malheureusement, en commençant ma formation universitaire en physiothérapie, j’ai dû faire un choix déchirant puisque je n'avais plus assez de temps pour m'entraîner suffisamment. Je me suis donc dit que j'irais aux Jeux olympiques, non pas comme athlète, mais comme physiothérapeute. Et 20 ans plus tard, j’y suis! Mon rêve olympique se réalise. Je regarde en ce moment Lindsay Jennerich et Patricia Obee gagner leur médaille d'argent et je sens que la boucle est bouclée. »
À Rio, on te parle souvent des marques circulaires qu’on a vues sur le corps de certains athlètes ?
« Oh, oui! Il s’agit du « cupping » ou technique de ventouses. J’imagine que des questions vont aussi m’être posées à mon retour au Québec sur cette approche thérapeutique qui est désormais célèbre en raison de la médiatisation des épaules du nageur Michael Phelps. Ce phénomène démontre bien que les Jeux participent à la popularité de certaines techniques, qu’elles soient scientifiquement reconnues, ou non. »
Selon toi, qu’est-ce qui a changé dans les dernières années en ce qui concerne les différentes approches thérapeutiques?
Plusieurs choses. La puncture physiothérapique avec aiguilles sèches est un bel exemple. Elle est de plus en plus utilisée. Aussi, le travail d’équipe avec les autres professionnels s’est bonifié et les rôles se sont précisés. Par exemple, les kinésiologues sont de plus en plus présents lors de la préparation physique des athlètes, les préparateurs mentaux également. En gymnastique, ici à Rio, nous avons une psychologue sportive qui s'occupe des besoins spécifiques des athlètes.
Raymonde Fortin est co-fondatrice et co-propriétaire de la clinique Stadium PhysiOstéo. Elle possède une feuille de route impressionnante: Raymonde a participé aux Olympiques à titre de thérapeute en chef à Sotchi ainsi qu’aux Jeux de Nagano, Turin, Beijing et Vancouver à titre de physiothérapeute. Elle terminera bientôt un doctorat en sciences cliniques spécialisé en physiothérapie de l’Université Andrews au Michigan. Son expérience olympique lui a donné l’occasion de traiter des athlètes de multiples disciplines, comme le patinage artistique, l'haltérophilie et l’escrime.
Raymonde, ton expérience olympique est immense. Est-ce que tu te dis que tu as parfois fait le tour de la chose?
Non, jamais! Après avoir participé à cinq Jeux olympiques et à deux Jeux paralympiques, les gens me demandent souvent pourquoi j'y retourne. Je leur réponds que je ne m’en lasse pas. Chaque expérience vaut son pesant d’or, c’est le cas de dire! Et l'entrée dans le stade lors des cérémonies d'ouverture demeure toujours un évènement difficile à battre en ce qui concerne l'émotion.
On se connaît depuis longtemps et on a étudié ensemble, S’il te plaît, fais-moi une confidence et raconte-moi l’histoire du... venin de serpent!?
Bon, ok. Mais ne vas pas croire que c’est moi qui traite avec ça! Ah, ah! Et je peux te dire que je ne suis pas prête d’oublier ce moment cocasse. Je ne te dis pas à quels Jeux ça s’est déroulé, mais un membre du personnel accompagnant les athlètes d'un certain sport m'a abordé pour m'offrir du venin de serpent, dans une fiole, afin d'aider au traitement d'un athlète dont il s'occupait. Je dois avouer que je n'ai pas su quoi répondre à part de faire un geste de négation... En tout respect, je préfère m’en remettre à d’autres types de techniques plus reconnues, si tu vois ce que je veux dire.
Quels conseils donnerais-tu à un athlète concernant la préparation et la récupération dans un contexte de compétition?
Une bonne préparation avant la performance est essentielle, comme la progression des stress mécaniques. Même chose pour la récupération. Et idéalement, elles ne doivent pas être perturbées, comme cela survient parfois en présence de problèmes dans la vie personnelle de l’athlète, de mauvaises conditions de santé, des compétitions importantes trop rapprochées, des décalages horaires à répétition. Le manque de sommeil, la nourriture différente et les distractions du village olympique peuvent aussi être des facteurs importants de perturbation.
Lorsque la préparation ou la récupération est inadéquate, on assiste parfois à de tristes scénarios. J’ai déjà vu des athlètes aux prises avec des fractures de stress ou de graves problèmes aux tendons ou aux ligaments, des blessures qui ont empêché ces athlètes de continuer l’entraînement, au point de parfois provoquer un retrait complet de la compétition.
Isabelle Pearson est physiothérapeute en pratique privée auprès des sportifs. Elle est également enseignante à l'Université McGill et elle a aussi été physiothérapeute en chef à Judo Canada. Son expérience olympique l’a conduite aux Jeux de Londres, en 2012. Elle y traitait les athlètes de l’équipe canadienne de judo. Isabelle est présentement en congé de maternité. Elle reprendra le travail en octobre à la clinique Physiothérapie solution active, à Verdun.
Comment as-tu vécu la compétition entre chaque pays?
« Il existe une rivalité entre les nations, c’est certain, mais je trouve que cela se vit de façon saine. Et au-delà du côté compétitif, il existe aussi beaucoup de camaraderie. J’ai vécu une expérience olympique inoubliable, des contacts humains exceptionnels et un accueil mémorable du comité organisateur ainsi que des nombreux bénévoles».
Quel a été le moment le plus émouvant de ta participation aux Jeux olympiques?
Le moment le plus émouvant, pour moi, fut la médaille de bronze obtenu par Antoine Valois-Fortier en judo en 2012 à Londres. Il avait subi une blessure importante quelques années avant les Jeux et il avait travaillé avec acharnement, notamment durant ses traitements de physiothérapie ainsi que durant la préparation physique précédant les Jeux. Antoine est, selon moi, un modèle de persévérance pour les jeunes! Ce 31 juillet 2012 fut une journée extraordinaire pour lui, comme pour moi. Quel privilège d'avoir pu assister, sur place, à cette victoire inspirante!
Selon toi, les Jeux olympiques apportent-ils des avantages à la population «non-athlète» ?
Je pense que oui. Par exemple, le long processus de préparation qui se déroule avant les Jeux est souvent utilisé pour explorer de nouvelles méthodes d'interventions et de récupération. Lorsqu'on démontre l’efficacité d’un traitement, nous pouvons l'employer lors des évènements sportifs eux-mêmes. Plusieurs de ces traitements sont aussi utilisés auprès de la population. En ce qui me concerne, j’utilise notamment la méthode McKenzie. Je la connaissais en ce qui concerne les problèmes à la colonne vertébrale. Par contre, les connaissances de cette méthode pour les articulations aux membres supérieurs et inférieurs se sont développées plus récemment et grâce auxquelles j'ai obtenu de bons résultats, notamment pour accélérer le retour au sport dans certaines conditions.
Sindy Martel est physiothérapeute et propriétaire de la clinique Kinatex de Longueuil. Elle a travaillé aux Jeux olympiques de Londres, en 2012, auprès des membres de l’équipe olympique de lutte, notamment Martine Dugrenier.
Sindy, accepterais-tu de me raconter cette histoire tellement touchante qui s’est déroulée aux Jeux de Londres!
Bien sûr, Denis. Le Comité olympique canadien avait invité à Londres quelques espoirs pour les Jeux suivants, soit ceux de Sotchi, afin de leur faire vivre une première expérience olympique et pour les aider à ce qu’ils se préparent mentalement. Une athlète est venue me voir parce qu'elle avait mal au pied après avoir longtemps marché à Londres et avoir assisté aux compétitions durant la journée. J'avais ma journée dans le corps, comme on dit! Même si cette jeune fille n’était une athlète 'officielle', j’ai décidé, ce soir-là, en bonne physiothérapeute, de prendre le temps de l’évaluer et de la traiter. Merci beaucoup, m’a-t-elle dit, tu me sauves la vie! Je m'appelle Justine et j'espère me qualifier pour les Jeux de Sotchi. Deux ans plus tard, je voyais cette athlète à la télé gagner une médaille d’or olympique, une certaine Justine Dufour Lapointe!
Quel est ton meilleur souvenir, comme physiothérapeute?
Pour être très franche avec toi, après 10 ans de compétitions internationales, j'ai voyagé partout dans le monde, vécu plusieurs beaux moments, réalisé plusieurs bons coups en ce qui concerne mes traitements, mais mon plus précieux souvenir demeure les rencontres avec les athlètes. Et je n’oublierai jamais les larmes de Martine Dugrenier lors de sa victoire, à Londres. Je savais qu'elle avait "tout donné" pour réaliser cet exploit, malgré les blessures et la chirurgie qui l’attendait à son retour, à Montréal.
Pour en savoir plus sur le travail des physiothérapeutes aux Jeux olympiques, écoutez ma chronique du 13 août au magazine Les éclaireurs, sur ICI Radio-Canada Première.
Merci à tous ceux et celles qui ont rendu possible ces rencontres privilégiées. Et à très bientôt!